Pourquoi certaines mousses tiennent mieux que d’autres ? Une réponse venue de l’espace !

Figure : Évolution de la taille des bulles dans une mousse humide observée à bord de la Station Spatiale Internationale. Les bulles grossissent au fil du temps, selon une loi dépendant du tensioactif utilisé. © Les auteurs
Dans une étude au long cours menée dans la station spatiale internationale (ISS), des scientifiques ont pu étudier précisément les facteurs physico-chimiques influençant la stabilité à long terme des mousses en s’affranchissant du drainage induit par la gravité.  

Qu’elles soient présentes dans un cappuccino, une mousse à raser ou un extincteur, les mousses font partie de notre quotidien. Malheureusement, constituées de liquide et de gaz, elles sont intrinsèquement instables. Sur Terre, elles évoluent ainsi rapidement du fait du drainage du liquide. Les mousses les plus stables survivent à cette première évolution, mais même une fois l’essentiel du drainage terminé, leurs bulles continuent de grossir, soit en fusionnant entre elles, soit par un mécanisme appelé mûrissement : les petites bulles rétrécissent et disparaissent pendant que les plus grandes grossissent, le gaz diffusant des unes vers les autres par la phase liquide. Ces phases ultérieures d’évolution dépendent de façon complexe de caractéristiques physico-chimiques assez fines du mélange constituant le liquide moussant, ce qui explique qu’aujourd’hui encore, la prédiction générale du temps de stabilité d’une mousse donnée en fonction de sa composition reste une question ouverte.

Ces recherches ont été menées dans les laboratoires CNRS suivants :

  • Laboratoire de Physique des Solides (LPS, CNRS / Université Paris-Saclay)
  • Institut des NanoSciences de Paris (INSP, CNRS/Sorbonne Université)
  • Laboratoire Navier (NAVIER, CNRS/École Nationale des Ponts et Chaussées/Université Gustave Eiffel)
  • Sciences et Ingénierie de la Matière Molle (SIMM, CNRS/ESPCI Paris-PSL/Sorbonne Université)

Or comprendre et ralentir ces phénomènes est essentiel pour améliorer la performance des mousses industrielles. Un obstacle à ce progrès provient du fait qu’au sol, le drainage dû à la gravité perturbe les mesures en créant une distribution de liquide inhomogène. Pour observer le mûrissement sans interférence, un consortium de chercheurs et chercheuses a réalisé des observations d’évolution de mousses générées à bord de la Station Spatiale Internationale, un environnement à gravité effective nulle. Ils ont ainsi pu comparer la stabilité de mousses très liquides (dites “mousses humides”) préparées avec neuf agents stabilisants différents – des tensioactifs classiques, un polymère et une protéine alimentaire. Pour ce faire, ils ont mesuré de façon extrêmement précise la vitesse de grossissement des bulles et montrer que cette dernière varie d’un facteur 10 selon la nature chimique du stabilisant utilisé. Jusqu’ici, les spécialistes du domaine pensaient que cette vitesse dépendait principalement de la perméabilité du liquide interstitiel (c’est-à-dire de la capacité des films liquides à laisser passer le gaz), mais les chercheurs et chercheuses ont découvert que deux autres facteurs clés entrent en jeu. D’une part, l’adhésion entre les bulles, qui influence leur structure locale, s’avère importante quand la fraction liquide n’est pas trop élevée. D’autre part, la diffusion du gaz hors des films, via les ponts capillaires ou « bords de Plateau » (qui se rencontrent toujours à la croisée de trois films et constituent l’essentiel du « squelette » liquide de la mousse), se révèle déterminante dans les cas où la perméabilité des interfaces très fines est particulièrement faible. Ces effets peuvent conduire soit à l’accélération soit au ralentissement du mûrissement de la mousse, ce qui illustre la complexité du phénomène général, une complexité que ce travail permet enfin de rationaliser en prenant en compte simultanément les propriétés interfaciales et les caractéristiques structurelles des mousses étudiées. 

En conclusion, ce travail permet de mieux comprendre le rôle de la chimie des tensioactifs dans le mûrissement des mousses humides. Il ouvre des perspectives pour concevoir des mousses dans des domaines variés, du cosmétique à la dépollution, en passant par les matériaux innovants. Ces résultats sont publiés dans la revue Journal of Colloid and Interface Science.

Références :

Wet foam coarsening: More than film permeability, Alice Requier, Shailesh Varade, Nicolò Galvani, Marina Pasquet, Sylvie Cohen Addad, Cécile Gehin-Delval, Reinhard Höhler, Olivier Pitois, Emmanuelle Rio, Anniina Salonen, Dominique Langevin, Journal of Colloid and Interface Science, 696, 137825  – Publié le 12 mai 2025.
Doi : 10.1016/j.jcis.2025.137825

Contact :

Dominique Langevin, Directrice de recherche CNRS au Laboratoire de Physique des Solides (LPS) : langevin@lps.u-psud.fr

Communication CNRS Physique : cnrs-physique.communication@cnrs.fr