Molécules organiques au service de la détection quantique

Figure 1 : Système expérimental pour les mesures à base de résonateur diélectrique fabriqué à Kharkiv, adapté à de très basses températures au LPS. © Les auteurs
Figure 1: Système expérimental pour les mesures à base de résonateur diélectrique fabriqué à Kharkiv, adapté à de très basses températures au LPS. © Les auteurs
Une équipe franco-britannique de scientifiques a mis au point une molécule organique lumineuse capable de révéler son état quantique de spin par un simple changement de couleur, un résultat qui ouvre une nouvelle voie vers des capteurs quantiques plus simples, plus flexibles et plus abordables.

La détection quantique, ou quantum sensing, repose sur la manipulation du spin des électrons – une propriété quantique liée au magnétisme – souvent difficile à lire dans les matériaux conventionnels. Jusqu’ici, les technologies exploitant cette propriété requéraient des matériaux complexes comme les centres NV dans les diamants, difficiles à produire à grande échelle. Dans un travail récent, des chercheurs et chercheuses d’une collaboration franco-britannique ont conçu une molécule organique appelée « diradical », car composée de deux unités radicalaires (susceptibles de faire des liaisons chimiques, chacune portant un électron non apparié) connectées via un pont moléculaire à base de fluorène (voir figure 2, panneau central). Selon l’orientation relative des deux spins (état singulet ou triplet), la molécule émet une lumière de couleur différente : orange pour le triplet, proche infrarouge pour le singulet (voir figure 2, panneau inférieur). Ce phénomène permet de « lire » optiquement l’état de spin, une avancée majeure pour les technologies de l’information quantique.

Ces recherches ont été menées dans le laboratoire CNRS suivant :

  • Laboratoire de Physique des Solides (LPS, CNRS/Université Paris-Saclay)

Grâce à une collaboration étroite entre chimistes, physiciennes et physiciens, le design moléculaire a été optimisé pour que les deux états (singulet et triplet) soient à la fois stables, bien différenciés en énergie, et fortement luminescents. Au Laboratoire de Physique des Solides, les scientifiques ont adapté des techniques de spectroscopie à base de résonateurs diélectriques très sensibles, développés à Kharkiv (IRE-NASU, Ukraine) au domaine des très basses températures (jusqu’à 200 mK), ce qui a permis de suivre la dynamique des états de spin (voir figure 2, panneau supérieur). Ils ont observé un contraste optique important entre des états de spin différents, une propriété moléculaire très rarement observée.

Panneau supérieur : la structure moléculaire et les deux spins électroniques représentés dans l'état singulet antiparallèle | Panneau central : les fonctions d'onde de l'électron (rouge) et du trou (bleu) après transfert de charge dans l'état singulet de spin | Panneau inférieur : différentes couleurs de luminescence de l'état singulet (champ magnétique nul) et de l'état triplet (champ magnétique élevé).
Figure 2 : panneau supérieur : la structure moléculaire et les deux spins électroniques représentés dans l’état singulet antiparallèle | Panneau central : les fonctions d’onde de l’électron (rouge) et du trou (bleu) après transfert de charge dans l’état singulet de spin | Panneau inférieur : différentes couleurs de luminescence de l’état singulet (champ magnétique nul) et de l’état triplet (champ magnétique élevé). @ Les auteurs.

Cette découverte ouvre la voie à une nouvelle classe de matériaux quantiques, à savoir des molécules organiques luminescentes, faciles à produire, modulables chimiquement, et capables d’interagir avec des signaux magnétiques faibles ou des variations de température ou d’environnement. Ces propriétés sont particulièrement prometteuses pour le développement de capteurs quantiques portables et intégrables sur puce. Cette recherche a été soutenue par le Conseil Européen de la Recherche (ERC), et s’inscrit dans une stratégie européenne visant à explorer de nouveaux supports moléculaires pour les technologies quantiques de demain. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Chemistry. 

Références :

Bright triplet and bright charge-separated singlet excitons in organic diradicals enable optical read-out and writing of spin states, Rituparno Chowdhury, Petri Murto, Naitik A. Panjwani, Yan Sun, Pratyush Ghosh, Yorrick Boeije, Chiara Delpiano Cordeiro, Vadim Derkach, Seung-Je Woo, Oliver Millington, Daniel G. Congrave, Yao Fu, Tarig B. E. Mustafa, Miguel Monteverde, Jesús Cerdá, Giacomo Londi, Jan Behrends, Akshay Rao, David Beljonne, Alexei Chepelianskii, Hugo Bronstein, Richard H. Friend, Nature Chemistry 17, 1410–1417 – Publié le 29 juillet 2025.
DOI : doi.org/10.1038/s41557-025-01875-z
Archives ouvertes : arXiv

Contact

Alexei Chepelianskii, Chargé de recherche CNRS au Laboratoire de Physique des Solides (LPS) : chepelianskii@lps.u-psud.fr

Communication CNRS Physique : cnrs-physique.communication@cnrs.fr