Pascale Launois, lauréate du prix André Guinier 2024

Pascale Launois, directrice de recherche CNRS au Laboratoire de Physique des Solides d’Orsay, se voit décerner le prix « André Guinier » de l’Association Française de Cristallographie.

Au cours de sa carrière, Pascale a exploré des formes originales de la matière, comme les quasi-cristaux ou les nanotubes de carbone. Sa spécialité, la diffusion de rayons X et de neutrons, lui a permis de mieux comprendre la structure de nano-objets, et même de les contrôler, par exemple en encapsulant des fullerènes dans des nanotubes. Ses recherches actuelles se concentrent sur des problématiques sur l’environnement, comme le stockage de l’hydrogène dans des nano-argiles, le passage de l’eau dans des nanocanaux, ou la conception de fibres de carbone « vertes » à partir de composés du bois.

Elle revient pour nous sur quelques moments clés de sa carrière et nous propose sa vision de la recherche.

– Pourquoi choisir une carrière d’expérimentatrice alors que tu avais suivi une formation de physique théorique ?

Cette formation m’a énormément intéressée et il est plus facile d’acquérir des bases expérimentales que des bases théorique après ses études, c’est pour cela que j’avais choisi de suivre un DEA de physique théorique. Et la recherche est par essence un domaine difficile, empreint d’incertitudes. J’ai pensé qu’en étant expérimentatrice, j’aurais une base solide : l’apport des expériences !

– Et pourquoi t’orienter vers la cristallographie ?

Je me suis orientée vers la physique des solides, et vers l’étude de leur structure et de leur dynamique (c’est la cristallographie) parce que l’on y travaille en petites équipes, avec une vision globale, de l’expérience jusqu’à la modélisation ou la simulation des données expérimentales. Beaucoup de gens pensent que la cristallographie, c’est trouver la position des atomes dans des cristaux bien ordonnés. En réalité, je n’ai jamais fait cela ! J’ai commencé par m’intéresser aux quasi-cristaux, qui venaient d’être découverts. Ce sont des systèmes ordonnés à longue portée mais avec une symétrie interdite en cristallographie. J’étudiais leurs transitions de phases. J’ai aussi étudié les molécules de fullerènes, et la façon qu’elles ont de s’orienter entre elles sur de petites distances, grâce à la diffusion diffuse des rayons X. Et enfin j’étudie la structure de nano-objets, où la portée de l’ordre est limitée par la taille de l’objet.

– Te souviens-tu d’un moment marquant de tes débuts ?

Oui, pendant ma thèse, je travaillais dans un réacteur qui produisait des neutrons, sur des spectromètres bien plus grands que moi, c’était impressionnant. Une nuit, j’ai pu monter en haut du réacteur et regarder le rayonnement de son cœur, d’un bleu magnifique, dans la piscine ! C’était une autre époque ! On ne se déplace plus aussi librement dans les réacteurs maintenant. Depuis ces premières expériences de thèse, je me sens toujours aussi heureuse quand je rentre dans un réacteur de neutrons pour faire une expérience.

– Quelles ont été les rencontres importantes de ta carrière ?

J’ai été marquée par ma rencontre avec Marianne Lambert, qui m’a encouragée pendant ma thèse, puis m’a proposé d’étudier les quasi-cristaux et leurs approximants au Laboratoire de Physique des Solides (LPS). C’était un changement à la fois de thématique et de méthode expérimentale, avec la diffusion des rayons X. Je me souviens aussi de rencontres interdisciplinaires, par exemple avec Sophie Lanone et Jorge Boczkowski de l’INSERM, avec qui j’ai travaillé sur la toxicité des nanotubes de carbone. Des travaux interdisciplinaires forcent à assimiler un nouveau langage et à faire comprendre le sien…  Cela provoque des changements passionnants ! Le rôle des doctorants et des post-doctorants est très important également. C’est passionnant de partager ses connaissances avec eux, ils apportent énormément à nos recherches. Je pense par exemple à Colin Bousige et Geoffrey Monet, qui ont d’ailleurs été tous deux récompensés par un prix pour leur thèse. Je n’enseigne pas, mais transmettre le savoir à travers l’encadrement est quelque chose que j’aime énormément. 

– Quel est ton rapport avec la vulgarisation et le grand public ?

Je suis très attachée à la vulgarisation. Je me suis par exemple fortement impliquée pour promouvoir la cristallographie lors de l’année internationale de la cristallographie en 2014. J’ai en particulier fait un exposé qui me tient particulièrement à cœur, sur Rosalind Franklin et la découverte de la structure de l’ADN. Il raconte l’histoire d’une scientifique à une époque où les femmes pouvaient assister aux cours à Cambridge mais où elles n’étaient pas autorisées à être membres de l’université. Rosalind Franklin n’a obtenu un diplôme de Cambridge que rétroactivement, quand l’université a évolué après la seconde guerre mondiale ! Il raconte aussi une histoire où l’éthique n’a hélas pas été respectée. J’ai donné cet exposé dans des mairies, des festivals de sciences, des universités et des lycées. Je trouve que la vulgarisation scientifique est très importante, surtout à la lumière de ce qui s’est passé pendant la période de la COVID-19. La façon dont certains scientifiques n’ont pas su distinguer des hypothèses de travail de résultats de la recherche a donné une mauvaise image de la recherche. Nous devons aussi vulgariser la méthode scientifique. 

– Que représente, pour toi, le fait de recevoir le prix “André Guinier” ?

C’est un grand plaisir et un honneur de recevoir ce prix. En plus, André Guinier est l’un des trois fondateurs du Laboratoire de Physique des Solides, et c’est lui qui est à l’origine de mon propre groupe de recherche au LPS. Ce prix est une récompense pour mes travaux de recherche mais il est aussi le fruit de nombreuses collaborations passionnantes que j’ai eues avec des collègues, ainsi que du travail réalisé avec mes doctorants et post-doctorants. C’est très important de dire que la recherche se fait aussi et surtout en équipe !

Figure. Quelques exemples d’études réalisées par Pascale Launois.
(a) Image de diffraction avec une symétrie interdite pour les cristaux et pavages de Penrose; (b) Diffusion diffuse d’un cristal formé de fullerènes C60 (en insert), à température ambiante; (c) Image de diffraction par une fibre formée d’alcool polyvinylique et de nanotubes d’argile (en insert ; en bleu, octaèdres AlO6 et en vert, tétraèdres SiO4 ou GeO4, pour des argiles modifiées) ; (d) Chiralité de nanotubes de stœchiométrie complexe à partir de diagrammes de diffusion des rayons X sur poudres; (e) Les molécules d’eau adsorbées dans un nanotube d’argile, stabilisées par la formation de trois liaisons H avec sa surface interne, s’organisent en un sous-réseau triangulaire incurvé (en rouge, atomes d’oxygène et en blanc : atomes d’hydrogène). La monocouche formée est de type solide jusqu’à température ambiante : sa densité d’état de phonons ne varie pas avec la température.

Le parcours de Pascale Launois, des phases incommensurables aux nanotubes et aux fibres de carbone vertes.

Pascale Launois est une spécialiste de diffusion des rayons X et des neutrons par des solides ou des fluides, ainsi que la modélisation des résultats expérimentaux.

Au tout début de son parcours, Pascale Launois effectue une thèse au Laboratoire Léon Brillouin, sur la diffusion inélastique des neutrons pour l’étude des phases incommensurables. Puis elle intègre le CNRS et rejoint le Laboratoire de Physique des Solides (LPS). Sous l’impulsion de Marianne Lambert, une ancienne élève d’André Guinier, elle y étudie les quasi-cristaux par diffusion des rayons X. Elle reçoit la médaille de bronze du CNRS pour ses travaux sur les phases incommensurables et les phases approximantes des quasi-cristaux.

Mise en place d’un échantillon sur un diffractomètre à rayons X du LPS.

Elle décide alors d’étudier les fullerènes, des molécules de soixante atomes de carbone extrêmement symétriques, en collaboration avec Roger Moret et Sylvain Ravy. Au début des années 2000, elle se tourne vers les nanotubes de carbone, objets emblématiques des nanosciences. Elle étudie leurs mécanismes de croissance en collaboration avec l’équipe de Martine Mayne au CEA, les propriétés de fibres de carbone avec l’équipe de Philippe Poulin et Cécile Zakri au Centre de Recherche Paul Pascal, ainsi que la structure et la dynamique de nanotubes remplis de molécules comme les fullerènes, avec Stéphane Rols, son proche collaborateur à l’Institut Laue Langevin (ILL). Avec ses collaborateurs, notamment Philippe Poulin et Cécile Zakri, elle reçoit le prix de la revue la Recherche, mention prix du ministère, pour les travaux sur les fibres de nanotubes de carbone.

Elle s’intéresse également à d’autres nanotubes, inorganiques, avec Stéphane Rols à l’ILL pour l’étude des propriétés particulières de l’eau confinée dans ces nanotubes, avec Erwan Paineau au LPS, qui les synthétise et qui a montré qu’ils permettent de produire de l’hydrogène par photocatalyse, ou avec Stéphan Rouzière, pour leur étude sous pression.

Ses recherches, de nature fondamentale, se concentrent depuis quelques années sur des problématiques d’intérêt environnemental. Elle étudie la structuration et la diffusion de l’eau dans les nanotubes inorganiques, le stockage de l’hydrogène dans des nano-argiles, ainsi que la possibilité de réaliser des fibres de carbone « vertes » à partir de la lignine, un composé du bois.

En conclusion, Pascale Launois a su utiliser la diffusion des rayons X et des neutrons pour explorer de nouvelles formes de matière à l’échelle du nanomètre, de la physique fondamentale jusqu’à de potentielles applications.

Interview réalisée par Siham Benhabib et corédigée avec Julien Bobroff