Ségrégation de phase photo-induite réversible et origine de la longue durée de vie des porteurs dans les films de pérovskite à halogénure mixte

Les cellules solaires à base de pérovskites hybrides à halogénure mixte montrent des efficacités de conversion qui ont déjà dépassé les meilleures cellules solaires en silicium polycristallin, seulement quelques années depuis leur découverte 1Y. Fu, H. Zhu, J. Chen, M.P. Hautzinger, X.Y. Zhu, S. Jin, Nat. Rev. Mater. 4 (2019) 169. [1]. Cependant, ces matériaux avancés souffrent toujours d’instabilité et subissent en particulier une ségrégation de phase sous illumination, affectant leurs propriétés optoélectroniques2 J.-P. Correa-Baena, M. Saliba, T. Buonassisi, M. Grätzel, A. Abate, W. Tress, A. Hagfeldt, Science 358 (2017) 739. [2],3E.T. Hoke, D.J. Slotcavage, E.R. Dohner, A.R. Bowring, H.I. Karunadasa, M.D. McGehee, Chem. Sci. 6 (2015) 613.[3]. Récemment, une équipe du LPS a rapporté une nouvelle étude sur la migration des ions halogénures dans ces pérovskites à halogénure mixte.

Figure 1 : Illustration schématique de la séparation de phase réversible induite par l’illumination.

La composition chimique des perovskites triple-cation à halogénure mixte (TC-MHP) est (MA0.17 FA0.83)0.95Cs0.05 Pb(I0.83 Br0.17)3 où MA et FA sont des molécules organiques (methylammonium et formamidimium), mélangées avec des ions Cs+, dans une structure définie par les ions Pb, I et Br. La structure cristallographique de la perovskite a une formule générique du type ABX3 (Figure 1), où A représente le cation, B est le plomb dans notre cas, et X est un mélange entre les anions de brome et d’iode. Les échantillons sont des couches minces polycristallines d’une épaisseur d’environ 380 nm, qui ont été préparés en utilisant la technique de « spin-coating » sur un substrat de verre.

Figure 2 : Structure cristallographique de la perovskite hybride organique-inorganique MAPbI3, où la structure est formée par des octahèdres de PbI3 entourés par des molécules de méthylammonium CH3NH3.

L’équipe a étudié les films minces avec des mesures de spectroscopie de photoluminescence (PL) en utilisant une diode laser continue (longueur d’onde de 454 nm) à différentes puissances d’excitation. La luminescence est un terme générique pour décrire les processus d’émission de lumière « froide », c’est-à-dire l’émission de lumière sans aucun rayonnement thermique. La spectroscopie PL est une méthode optique qui s’intéresse à l’absorption et à l’émission de lumière d’un matériau donné, donnant un éclairage sur les mécanismes électroniques sous-jacents responsables de la luminescence. Les résultats obtenus rapportent la migration des ions halogénure (Br- et I-) induite par photo-excitation dans les films TC-MHP. Cette migration est révélée par un décalage de la PL vers le rouge interprété par la formation de domaines riches en iode, à bande interdite plus petite. La bande interdite ou « gap » est une caractéristique des semi-conducteurs, dont la valeur en énergie gouverne les processus d’absorption et d’émission de lumière.

Cette étude révèle que les domaines riches en iode piègent efficacement les porteurs photo-excités, et révélent leur rôle dominant dans l’apparition d’une durée de vie inhabituellement longue des porteurs (la durée de vie moyenne augmente de 0,8 μs à 4 μs sous illumination). Une longue durée de vie est généralement liée à une efficacité de conversion élevée dans une cellule solaire, donc cet effet serait intéressant si le matériau était homogène. Cependant, dans ce cas spécifique, la longue durée de vie se produit de pair avec une localisation des recombinaisons dans de petites régions séparées (riches en iodure), ce qui nuit à une bonne collecte des charges dans le cas d’une cellule solaire. On trouve que le taux de ségrégation de phase suit la densité de puissance d’excitation avec une loi de puissance. Le seuil de ségrégation de phase est estimé à une densité de puissance de 2 mW/cm2 à température ambiante, ce qui est une valeur très faible par rapport à l’éclairement solaire moyen 100 mW/cm2.

Les chercheurs ont observé que les changements photo-induits sont entièrement réversibles et activés thermiquement quand l’échantillon est plongé dans l’obscurité. À température ambiante (296 K), le film TC-MHP retourne complètement à l’équilibre en 10h sous obscurité. On constate que le processus de ségrégation de phase est gelé en dessous d’une température T=250 K. Une différence significative dans les énergies d’activation pour la migration des ions halogénure est observée pour les processus de ségrégation sous lumière et de retour à l’équilibre dans l’obscurité. Cette étude montre que l’énergie d’activation de la migration des ions iodure est plus élevée pendant le processus de ségrégation de phase photo-induite (Ea(Seg.) 0,46 eV) que pour le processus de retour à l’équilibre (Ea(Rec.) 0,31 eV). Ces deux mécanismes de diffusion sont supposés être médiés par les défauts, car le matériau est bien connu pour sa capacité à résister à une densité élevée de défauts ponctuels intrinsèques au sein de sa structure cristallographique. Ces résultats aideront à mieux comprendre les problèmes clés de ségrégation de phase dans les matériaux de pérovskite à halogénure mixte pour le développement des dispositifs photovoltaïques et optoélectroniques.

Figure 3 : La migration des ions iodures conduit à la formation de domaines à bande interdite plus petite. Dans (a) décalage vers le rouge dépendant du temps dans l’émission de PL sous un éclairage continu ; (b) croissance de l’émission verte en PL de la composante riche en Brome ; (c) courbes de déclin de PL résolues en temps. La recombinaison des porteurs de charge dans les domaines riches en iodure conduit à une augmentation de la durée de vie des porteurs de charges. (d) Schéma illustrant la segregation de phase où le piégeage des porteurs et leur recombinaison dans des domaines riches en iodide à bande interdite plus petite induisent un décalage vers le rouge de l’émission de photoluminescence.

Référence

Reversible Photo-Induced Phase Segregation and Origin of Long Carrier Lifetime in Mixed-Halide Perovskite Films
S. K. Gautam, M. Kim, D. R. Miquita, J.-E. Bourée, B. Geffroy and O. Plantevin
Advanced Functional Materials (2020) 2002622
doi:10.1002/adfm.202002622

[1] Y. Fu, H. Zhu, J. Chen, M.P. Hautzinger, X.Y. Zhu, S. Jin, Nat. Rev. Mater. 4 (2019) 169.
[2] J.-P. Correa-Baena, M. Saliba, T. Buonassisi, M. Grätzel, A. Abate, W. Tress, A. Hagfeldt, Science 358 (2017) 739.
[3] E.T. Hoke, D.J. Slotcavage, E.R. Dohner, A.R. Bowring, H.I. Karunadasa, M.D. McGehee, Chem. Sci. 6 (2015) 613.

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Olivier Plantevin