Les états sous-gap générés par des spins uniques dans un supraconducteur peuvent servir de briques élémentaires pour les dispositifs quantiques. Les scientifiques du Laboratoire de Physique des Solides (CNRS/Université Paris-Saclay) ont découvert que les états sous-gap d’impuretés à spins multiples, souvent utilisés et généralement considérés comme indépendants, sont en réalité intimement liés. Leurs travaux révèlent une interaction complexe entre les états quantiques, entraînant des changements inattendus dans le spin total et l’occupation. |
Les imperfections des matériaux sont souvent perçues comme des obstacles à l’obtention d’un état quantique désiré. Toutefois, une autre approche s’est développée au fil des décennies : une impureté peut être exploitée comme un outil. Elle peut, d’une part, permettre de sonder l’état quantique du matériau idéal sous-jacent et, d’autre part, engendrer un état quantique distinct et non trivial dans son voisinage. Les chercheurs du LPS d’Orsay ont, de manière historique, joué un rôle clé dans le développement de cette perspective.
Au cours de la dernière décennie, les impuretés magnétiques dans les supraconducteurs ont suscité un intérêt croissant grâce à des avancées expérimentales majeures. Les progrès dans la manipulation à l’échelle atomique et l’amélioration des techniques de microscopie à effet tunnel (STM) ont transformé ces impuretés en outils puissants pour explorer des ordres supraconducteurs potentiellement exotiques et topologiques.
Le principal objectif de ces recherches repose sur l’hypothèse que la manipulation des impuretés magnétiques en structures plus complexes pourrait induire un nouvel état supraconducteur topologique au sein d’un matériau initialement trivial et conventionnel. Dans ce contexte, la topologie émergente autour des impuretés permettrait aux électrons de générer de nouvelles excitations collectives, telles que les modes zéro de Majorana. Ces excitations, très convoitées, ouvriraient des perspectives révolutionnaires pour le calcul quantique topologique.
Étonnamment, une grande partie des théories élaborées pour soutenir ces avancées avec succès repose sur une hypothèse simplifiée formulée il y a plus de 50 ans : l’impureté magnétique est traitée comme un objet classique, un petit aimant à orientation fixe. Dans ce cadre, les électrons du supraconducteur s’associent à cet aimant classique pour former plusieurs excitations indépendantes de type Yu-Shiba-Rusinov (YSR). Ces excitations fournissent une description remarquablement efficace des observations réalisées par microscopie à effet tunnel (STM) et suffisent à expliquer la création d’un mode zéro de Majorana collectif lorsque ces impuretés classiques sont agencées dans des configurations optimales. Cependant, cette « efficacité déconcertante » d’une modélisation aussi simplifiée des impuretés magnétiques pourrait presque être perçue comme une limite de notre compréhension. En effet, les signatures expérimentales révélant les effets quantiques plus subtils des impuretés au sein d’un supraconducteur demeurent, à ce jour, extrêmement rares.
Dans cette étude, les chercheurs du LPS ont démontré qu’une seule impureté de fer dans un supraconducteur à base de fer génère plusieurs excitations étroitement corrélées, nécessitant une description entièrement quantique qui dépasse le cadre conventionnel des excitations de Yu-Shiba-Rusinov (YSR). L’expérience réalisée au LPS a utilisé une pointe de microscopie à effet tunnel (STM), dont la distance par rapport à l’impureté était ajustée de manière contrôlée et avec une grande précision, tout en mesurant les excitations électroniques au niveau de l’impureté.
La première observation clé a révélé que lorsque l’une des excitations atteint une énergie nulle, signalant un changement dans l’état quantique sous-jacent, toutes les autres excitations se comportent de manière synchronisée, invalidant ainsi l’hypothèse d’indépendance des excitations (voir Figure 1b).
La deuxième observation importante a montré que, pour certains paramètres expérimentaux, l’augmentation de la tension entre la pointe et l’impureté entraînait une diminution du courant circulant entre elles. Cet effet ne peut s’expliquer que par des phénomènes d’interférence quantique au niveau de l’impureté, réfutant ainsi l’hypothèse selon laquelle elle pourrait être modélisée comme un aimant classique.
Les scientifiques du LPS ont développé un modèle théorique minimal adapté pour expliquer ces deux observations, proposant l’idée que l’impureté possède plusieurs états quantiques interagissant. De ce fait, plusieurs électrons du supraconducteur tendent à les occuper de manière corrélée et intriquée lorsqu’ils sont excités, ce qui remet en question toute description classique.
Ce travail représente un nouveau défi conceptuel pour le domaine, car il met en évidence la nécessité de mieux comprendre les impuretés quantiques interagissantes, notamment dans le contexte des supraconducteurs. Il est particulièrement intéressant de noter que l’expérience a mis en évidence une nouvelle phénoménologie de manière systématique sur plusieurs impuretés situées dans la zone étudiée du matériau. De plus, les atomes de fer sont des impuretés magnétiques couramment utilisées dans les expériences portant sur divers matériaux. Cela indique clairement que la description quantique des impuretés magnétiques interagissantes est une condition préalable urgente pour toute ingénierie d’excitations collectives en vue du calcul quantique topologique.
Les résultats et les discussions complémentaires ont récemment été publiés dans Nature Communications.
Contributeurs & Contributrices
Équipe Nanosecond at the Nanoscale (NS2)
Équipe Théorie
Brookhaven National Laboratory, USA
Financements
ANR (ANR-22-CE30-0037, ANR-21-CE30-0017-01), US Department of Energy, office of Basic Energy Sciences, contract no. DOE-sc0012704
Références
M. Uldemolins, A. Mesaros, G. D. Gu, A. Palacio-Morales, M. Aprili, P. Simon and F. Massee
Nature Communications 15, 8526 (2024)
doi : 10.1038/s41467-024-52847-9
Contacts
Freek Massee – freek.massee@universite-paris-saclay.fr