Comment frottent les mousses ?

Vaut-il mieux prendre une cuillère lisse ou rugueuse pour manger sa mousse au chocolat ? C’est à cette question qu’une équipe du LPS répond en étudiant le frottement des mousses sur des surfaces rugueuses. Leurs résultats sont publiés dans la revue Physical Review Letters et ont montré que le paramètre important n’est pas seulement la taille des bulles d’air de la mousse, mais aussi la quantité de liquide entre les bulles.

La mousse au chocolat sur la cuillère, la mousse à raser sur la peau, l’écume de mer sur la plage… Les situations dans lesquelles une mousse glisse ou frotte sur une surface rugueuse sont nombreuses. Ce sont autant d’expériences quotidiennes qui donnent envie de comprendre les interactions d’une surface avec une mousse.

Dans les laboratoires, lorsqu’on cherche à étudier les propriétés mécaniques des mousses, on leur applique des forces et on en déduit comment elles se déforment. Une expérience classique est de les mettre entre deux plaques et de les cisailler. Mais si la mousse glisse quand on essaie de la déformer, on ne peut rien mesurer ! Pour empêcher la mousse de glisser, les scientifiques ajoutent des aspérités plus grosses que la taille des bulles sur les parois des appareils de mesure pour les empêcher de glisser. Une question jusqu’à présent non résolue était de comprendre quelle était la taille minimale de rugosité à utiliser pour empêcher une mousse de glisser.

C’est pourquoi une équipe du LPS a étudié systématiquement le frottement de mousses sur des surfaces de diverses rugosités (voir figure 1). Ils ont fabriqué des mousses dont toutes les bulles ont la même taille, et ont contrôlé précisément la quantité d’eau dans les différentes mousses. Ils ont mesuré la force exercée par la mousse sur des surfaces de verre dont ils avaient modifié la rugosité en y collant des petites billes de verre (de diamètre de quelques dizaines à quelques centaines de micromètres). En même temps, ils ont observé le mouvement des films de savon auprès des surfaces rugueuses en mouvement. Ceci leur a permis d’identifier ce qui contrôle le frottement des mousses.
Pour les surfaces, c’est la taille des aspérités qui compte ; pour la mousse, la longueur importante n’est pas réellement la taille des bulles mais plutôt la taille des canaux de liquide entre les bulles de savon, appelée « rayon de courbure des bords de Plateau ». Ce résultat n’était pas attendu car dans d’autres fluides complexes comme les granulaires, c’est la taille des grains qui est importante.

Plus précisément, l’équipe de chercheurs a identifié trois régimes de frottement de la mousse. Quand les aspérités sont très petites devant le rayon de courbure des bords de Plateau, la mousse glisse. Quand ces deux tailles sont comparables, la mousse glisse puis adhère à la surface alternativement, créant un mouvement saccadé. Dans ces deux premiers régimes, la mousse se déplace sur la surface et n’est pas déformée. Enfin, quand les rugosités sont bien plus grandes que la courbure des bords de Plateau, les films de savon de la mousse restent ancrés sur les aspérités de la surface. Les bulles de savon ne peuvent plus glisser sur la paroi, elles glissent donc entre elles et la mousse est déformée.

Une des nouveautés de ce travail vient de la description du régime de frottement en collé-glissé, qui est un intermédiaire entre le glissement sur une surface lisse, et l’ancrage des films de savon sur une surface très rugueuse. D’autre part, l’identification des trois régimes de frottement permet de prédire la taille des aspérités à ajouter une surface pour éviter le glissement de la mousse. On peut donc savoir quelle est la rugosité minimale d’une cuillère pour bien entraîner une mousse au chocolat !
Dans le cas inverse où la rugosité est fixée, comme c’est le cas avec la taille des papilles de nos langues, on peut désormais concevoir des mousses avec plus ou moins de liquide ou avec des bulles plus ou moins grandes, selon la texture que l’on souhaite obtenir pour nos préparations culinaires (voir figure 2). À terme, on pourrait imaginer que ces études puissent servir à adapter les aliments fournis aux patients atteints de troubles du déglutissement (dysphagie) qui sont très sensibles à la texture des aliments. On peut aussi adapter les cosmétiques au grain de peau des consommateurs, ou encore estimer la quantité de bulles à ajouter à un béton selon la rugosité du matériau sur lequel il sera appliqué…

Figure 1 : Lame rugueuse plongée dans une mousse, vue de côté. La mousse est préparée avec du liquide vaisselle et de l’eau. La lame rugueuse est composée d’une lame de microscope en verre recouverte de billes en verre. Les bords de Plateau de la mousse sont les traits sombres entre les bulles de savon, plus la mousse contient d’eau plus ils sont épais. La lame fait 1 mm d’épaisseur. (Photographe : Serge Guichard)

Figure 2 : Mousse de blanc d’œuf confinée entre une cuillère et une lame en verre décorée de rugosités comparables aux papilles d’une langue humaine. Cette figure se lit verticalement, et chaque image est séparée de 1 s de la précédente. A gauche, la mousse est dans le régime de collé-glissé. On constate que la dernière bulle du cortège se déplace sur la langue modèle. A droite, seule l’humidité de la mousse a changé pour se placer dans le régime d’ancrage de la mousse. La dernière bulle reste accrochée et une partie de la mousse est déposée sur la langue modèle. On constate que pour une même surface — et donc une même langue — et une même taille de bulles on peut avoir des sensations différentes selon l’humidité de la mousse. C’est une observation intéressante si on souhaite obtenir une texture bien précise pour nos petits plats ! (Crédit CNRS & Université Paris-Saclay, Manon Marchand)

Références

Roughness-Induced Friction on Liquid Foams
Manon Marchand, Frédéric Restagno, Emmanuelle Rio, & François Boulogne
Physical Review Letters 124, 118003 (2020)
doi:10.1103/PhysRevLett.124.118003

Article dans Le Monde

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