Structure et dynamique inhabituelles de mousses en présence d’une phase continue viscoélastique

Les mousses sont des matériaux complexes instables dont les mécanismes de vieillissement restent mal compris. Une étude récente vient de démontrer que les propriétés viscoélastiques de la phase continue ont un effet crucial sur la structure cellulaire du matériau.

Les mousses sont des dispersions de bulles de gaz dans une phase continue. Elles font partie d’une famille plus large de matériaux, qui comprend les matériaux granulaires, les suspensions colloïdales, les émulsions concentrées, etc. dont les propriétés découlent du blocage de l’écoulement dû à la grande concentration des constituants. Il s’agit du jamming. Leurs propriétés rhéologiques, en particulier leur viscoélasticité sont exploitées dans de nombreux produits et processus industriels (par exemple, l’agroalimentaire, les cosmétiques ou les matériaux de construction). Les mousses sont instables et évoluent sur des échelles de temps comparables à celle de leur temps d’utilisation, ce qui rend l’étude de leurs mécanismes de déstabilisation cruciale pour les applications.

En pratique, pour augmenter leur stabilité, de nombreuses mousses sont fabriquées à partir de fluides complexes. Par exemple, la phase continue est un fluide viscoélastique, ce qui peut accroître la stabilité des mousses si le comportement élastique contrebalance le drainage gravitationnel ou la croissance des bulles. Les mousses mûrissent au cours du temps, les petites bulles se vidant dans les plus grandes en raison des différences de pression de Laplace. Ce mécanisme est difficile à arrêter ou à contrôler, et est toujours très mal compris, en particulier dans les mousses fluides complexes.

Des chercheurs du Laboratoire de Physique des Solides en collaboration avec des collègues de l’Université d’Aalto en Finlande ont étudié l’effet de la viscoélasticité de la phase continue sur le grossissement de la mousse dans des mousses d’émulsions. Les résultats ont fait l’objet d’une publication dans Nature Communications.

Ils ont généré une émulsion concentrée (de la consistance d’une mayonnaise) qu’ils ont fouetté pour y incorporer des bulles. Une seule couche de bulles (mousse quasi 2D) est produite pour pouvoir visualiser la structure complète de la mousse. La taille des bulles et leur distribution ont été déterminées en suivant l’évolution des bulles individuelles dans le temps. Par comparaison avec les mousses issues de solutions aqueuses de tensioactifs, ils ont montré que l’évolution de la taille des bulles est fortement ralentie et que la structure de la mousse est considérablement affectée (Figure). Ceci est dû à l’interaction entre la taille des bulles et l’élasticité de l’émulsion. Ce phénomène, combiné à la polydispersité de la taille des bulles, génère des matériaux très hétérogènes, avec des régions distinctes formées de grandes ou de petites bulles. Les contraintes accumulées dans les structures non relaxées seront transférées aux mousses lors de leur séchage ou de leur solidification, ce qui entraînera une faiblesse mécanique. La différence avec la structure cellulaire d’une mousse traditionnelle peut avoir d’autres implications sur les propriétés du matériau, de sorte que la compréhension et le contrôle de leur évolution structurale sont cruciaux pour la conception de futurs matériaux moussants.

Figure. Evolution au cours du temps de la structure de mousses issues d’une solution aqueuse (haut) ou d’une émulsion (bas).

Référence
Viscoelastic coarsening of quasi-2D foam
C. Guidolin, J. Mac Intyre, E. Rio, A. Puisto, A. Salonen
Nature Communications, 2023, 14, 1125
DOI : 10.1038/s41467-023-36763-y

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