Spectroscopie d’excitation de cathodoluminescence : un nouvel outil pour explorer les voies d’excitation et de désexcitation dans les nanomatériaux

Les coïncidences temporelles entre la perte d’énergie d’un électron traversant un matériau et une émission lumineuse subséquente permettent de mesurer l’efficacité quantique relative de ce matériau. Un dispositif expérimental a été construit au Laboratoire de Physique des Solides, assurant la détection des électrons incidents et des photons émis un-à-un avec une précision temporelle de quelques nanosecondes et une résolution spatiale nanomètrique.

La compréhension des processus de transfert d’énergie, de diffusion et de réémission dans des matériaux est fondamentale en vue de leur optimisation pour différentes applications. En règle générale, les spectroscopies optiques sont employées pour sonder ces processus. Ces techniques ont une résolution spatiale ainsi qu’une gamme d’énergie de détection très limitées allant de l’infrarouge à l’ultraviolet. A l’inverse, les spectroscopies électroniques, utilisant des électrons rapides avec des longueurs d’onde picométriques, offrent une résolution spatiale inférieure au nanomètre avec une plage de détection d’énergie s’étendant de l’infrarouge lointain (~ 20 meV) aux rayons X durs (> keV). Cependant, les techniques de spectroscopie électronique ont certaines limites. Un élément important est la nature à large bande de la diffusion des électrons, l’énergie transférée lors de chaque processus de diffusion individuel ne pouvant pas être connue a priori. Seul le spectre de diffusion moyen pour un ensemble d’événements se produisant à des énergies différentes est mesuré.

Dans une étude parue dans Science Advances, des chercheurs du LPS en collaboration avec une équipe de Tsukuba au Japon, ont contourné cette limite en détectant l’énergie perdue par chaque électron interagissant avec un échantillon. L’originalité de ce travail est d’avoir pu, en sus de l’énergie perdue, détecter le temps d’arrivée sur le détecteur de l’électron diffusé à une énergie donnée avec une précision inférieure à 10 ns. Avec cette information, l’équipe a mesuré la probabilité de détecter l’émission d’un photon en fonction de l’énergie perdue. Cette probabilité a permis de détecter des canaux d’excitation jusqu’alors inconnus conduisant à l’émission de lumière lorsqu’un électron rapide interagit avec des semi-conducteurs. En effet, une hypothèse largement répandue en spectroscopie électronique, étayée par des preuves expérimentales mais sans preuve définitive, était que la majeure partie de la lumière émise par les semi-conducteurs excités par des électrons provient de la relaxation des plasmons de volume. Grâce à ces mesures, les chercheurs ont confirmé cet effet, ainsi que le fait que les excitations des électrons du cœur peuvent également conduire à une émission de lumière (Figure). De manière inattendue, ils ont prouvé que les excitations proches du bord de la bande sont très efficaces pour la génération de photons en étudiant avec une résolution nanométrique des flocons minces de nitrure de bore hexagonal (h-BN) et des sphères cœur-coquille Au/SiO2 (Figure). L’ensemble de ce travail a été rendu possible grâce au développement d’un détecteur spécifique pour l’EELS (Y. Auad, et al., Ultramicroscopy, 239, 113539 (2021)) de manière à ce que l’arrivée d’un photon sur un tube photomultiplicateur puisse être temporellement calée sur la même horloge universelle que l’arrivée des électrons sur le détecteur.

Ce travail est un premier pas vers la compréhension des processus de transfert d’énergie dans les solides excités par des électrons rapides. Elle ouvre la voie à une mesure quantitative de l’efficacité quantique à l’échelle nanométrique, un paramètre clé pour tous les matériaux et technologies liés à l’émission de la lumière. Une conséquence directe de ce travail implique la mesure des durées de vie à partir des courbes de déclin de la coïncidence électron-photon.

A gauche : schéma du processus conduisant à la cathodoluminescence (CL, émission de photons en orange) à partir d’un événement de perte d’énergie électronique (EELS, en violet). En haut à droite : histogramme 2D des événements de coïncidence électron-photon en fonction du temps et de l’énergie. En bas à droite : efficacité quantique relative du h-BN en fonction de l’énergie. L’efficacité quantique supplémentaire à environ 6 eV, associée aux transitions de bord de bande proche, n’était pas connue pour être une voie efficace pour l’émission de lumière sous excitation électronique rapide.

Référence
Cathodoluminescence excitation spectroscopy: Nanoscale imaging of excitation pathways
N. Varkentina, Y. Auad, S. Y. Woo, A. Zobelli, L. Bocher, J. D. Blazit, X. Li, M. Tencé, K. Watanabe, T. Taniguchi, O. Stéphan, M. Kociak, L. H. G. Tizei
Science Advances, 2022, 8, eabq4947
doi: 10.1126/sciadv.abq4947

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Luiz Tizei