Un microscope électronique et un laser unissent leurs forces de façon spectaculaire

Comprendre comment les matériaux absorbent la lumière à l’échelle du nanomètre est essentiel pour les applications en photonique ou en optique quantique. En superposant avec une précision jusqu’alors inégalée dans un microscope électronique un faisceau laser et un faisceau électronique, des scientifiques ont pu étudier l’absorption de microbilles de verre et de polystyrène avec une très grande précision.

Les propriétés optiques des nanomatériaux dépendent intimement des détails de leur taille et de leur forme, et peuvent varier sur des échelles nanométriques. Ceci les rend difficiles à étudier avec les microscopies conventionnelles utilisant de la lumière. En utilisant un microscope électronique à balayage en transmission (STEM), on peut atteindre des résolutions spatiales atomiques pour imager la structure des matériaux. À l’aide de la spectroscopie de perte d’énergie électronique (EELS), les propriétés optiques peuvent en parallèle être étudiées avec une résolution spatiale de l’ordre de la dizaine de nanomètres. Cependant, l’EELS est limitée à des résolutions spectrales dix à mille fois trop faibles pour l’étude des systèmes photoniques. De telles résolutions spectrales sont aisées à obtenir avec des lasers, mais malheureusement avec une résolution spatiale insuffisante. Une collaboration réunissant le Laboratoire de Physique des Solides (LPS, CNRS / Université Paris-Saclay) et des équipes espagnole et brésilienne a développé un système d’injection de lumière dans un STEM (Figure 1a), qu’il a adapté à un microscope électronique monochromaté de dernière génération (CHROMATEM). La précision de ce système permet d’optimiser l’injection d’un laser dans un STEM, et ainsi d’obtenir des résolutions spectrales de quelques centaines de µeV. Ce faisant, la limite technologique prédite par les concepteurs des systèmes STEM-EELS eux-mêmes (de l’ordre de quelques meV) se retrouve largement dépassée !

Figure 1. (a). Schéma de principe d’une expérience de gain d’énergie. Un électron rapide (ici, 200 kV) est focalisé sur un échantillon au point Re (voir insert). En parallèle, un faisceau laser est également focalisé au point Rf. Dans le cadre de l’expérience, le faisceau laser permet de créer un mode de galerie (WGM : Whispering gallery mode). En se désexcitant, il accélèrera l’électron. L’énergie des électrons est mesurée au-dessus de l’échantillon grâce à un prisme magnétique. (b) Comparaison d’un spectre de perte d’énergie électronique pour une sphère de silice. Chaque pic correspond à l’énergie d’un mode. On voit que la spectroscopie de gain (EEGS) est bien mieux résolue que la spectroscopie de perte d’énergie d’électrons (EELS, voir texte), ou que la spectroscopie de cathodoluminescence (CL, constituée de la lumière émise par un échantillon après irradiation électronique). (c) Spectre de gain pour une sphère de polystyrène. On voit que des modes très fins et partiellement superposés sont résolus. La gamme spectrale du spectre correspond à la meilleure résolution spectrale connue en EELS (spectroscopie de perte d’énergie électronique).

Comme application, les scientifiques ont étudié des micro-billes de silice et polystyrène de tailles comprises entre 1 et 8 µm. Dans ces billes, la lumière est capturée par réflexion interne (Figure 1a, insert), donnant lieu à des modes se propageant sur une circonférence et appelés modes de galerie. Les modes ainsi formés possèdent des temps de vie très longs car ils ne peuvent s’échapper des billes, et leur largeur à mi-hauteur est théoriquement de l’ordre de quelques µeV (à comparer avec les quelques meV accessibles en EELS). Il est malheureusement aussi corrélativement très difficile d’y injecter de la lumière. Le positionnement très précis (de quelques centaines de nanomètres dans les trois directions de l’espace) d’un miroir de haute ouverture numérique a permis l’injection optimale d’un faisceau laser dans les sphères, créant un champ électrique évanescent à leur surface. Ce dernier accélère un faisceau d’électrons rapides (environ la moitié de la vitesse de la lumière) positionné au bord de la sphère. En variant avec une précision d’une dizaine de µeV l’énergie du laser, les modes ont pu être excités, accélérant un nombre d’autant plus grand d’électrons que cette énergie était proche de celles des modes de galerie (Figure 1b). Le spectre de gain d’énergie ainsi formé permet d’ores et déjà de résoudre des modes avec une résolution dépassant de deux ordres de grandeurs les résolutions EELS à la tension d’accélération utilisée, et d’un ordre de grandeur la meilleure résolution EELS jamais rapportée (Figure 1c).

Ceci est particulièrement intéressant pour une variété d’applications dans les domaines de l’optique quantique et de la photonique. De plus, cette technique pourrait s’ouvrir à de nombreux autres champs d’investigation tels que la physique des semi-conducteurs, la spectroscopie infra-rouge ou l’optique quantique, et requerra de nouveaux développements théoriques pour en comprendre tous les aspects. Ces travaux sont publiés dans Nature Communications.

Référence
μeV electron spectromicroscopy using free-space light
Y. Auad, E. J. C. Dias, M. Tencé, J.-D. Blazit, X. Li, L. F. Zagonel, O. Stéphan, L. H. G. Tizei, F. Javier García de Abajo, M. Kociak
Nature Communications, 2023, 14, 4442
doi: 10.1038/s41467-023-39979-0
Disponible sur arXiv

Pour en savoir plus
Cette actualité a fait l’objet d’un fait marquant au près de l’Institut de Physique (CNRS)

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